LES CHANGEMENTS DE PARADIGMES EN ÉDUCATION


Dans la conscience du commun des mortels, l’école était jadis considérée comme une seconde famille. Elle est la continuité de cette famille qui permettrait de construire le citoyen de demain en l’aidant à se comprendre et à comprendre le monde dans lequel il vit. Cependant, nous vivons dans une société en perpétuelles mutations qui, de génération en génération, subit de profondes évolutions tant du point de vue des styles de vie que des comportements et des besoins entre autres. Pour ce faire, l’un des défis les plus difficiles à relever par cette école-là, serait bien évidemment celui de pouvoir « modifier nos modes de pensée de façon à faire face à la complexité grandissante, à la rapidité des changements et à l’imprévisibilité qui caractérisent notre monde. Nous devons repenser la façon d’organiser la connaissance. Nous devons reformuler nos politiques et programmes éducatifs. Tout en faisant ces réformes, nous devons garder le cap sur le long terme, sur le monde des générations futures vis-à-vis desquelles nous avons une énorme responsabilité » (Federico Mayor, in Edgard Morin, 1999). Où en est-on présentement? Il nous semble que le résultat est loin d’être celui souhaité par Mayor comme Sir Ken Robinson (dans sa capsule vidéo) sur les paradigmes en éducation. En effet, dans ce monde contemporain où la société est, pourrions-nous dire, conquise par le syndrome de l’économie, l’école est de nos jours calquée sur l’industrie or il est impossible de maitriser le destin économique de cette société-là. L’école ne semble donc plus répondre aux attentes des jeunes actuels et il en résulte une crise profonde de motivation de cette nouvelle génération qui ne croit plus en la capacité de l’école à transformer leurs vies et à réaliser leurs rêves. Les conséquences de ce désamour sont nombreuses et je donne l’exemple de la jeunesse africaine qui, dans cette perte de confiance en l’avenir conséquemment au peu d’espoir qu’elle a de pouvoir trouver un jour un emploi à la fin de leurs études, préfère émigrer ailleurs en Occident, à la recherche d’une autre possibilité de vie. En 2007, lorsque j’écrivais mon livre sur l’immigration clandestine en Espagne, j’ai interviewé plus d’une centaine de jeunes immigrants dans différentes villes d’Espagne (qui venaient fraichement de débarquer dans ce pays via la méditerranée) ainsi que plusieurs autres candidats potentiels à cette émigration clandestine à partir de quelques pays d’origine notamment au Sénégal, en Gambie et en Guinée-Bissau. Contrairement aux clichés populaires qu’on a de ces jeunes, à savoir de jeunes gens économiquement désœuvrés et sans éducation, le constat était tout autre : la plupart des jeunes interviewés avaient un minimum de 10 ans de scolarité et beaucoup parmi eux ont fréquenté l’université dont certains allant jusqu’au niveau de la maitrise. À la question de savoir « pourquoi préfèrent-ils abandonner l’école pour risquer leur vie par la méditerranée ou le désert aux fins de rejoindre les côtes ibériques ou italiennes ? », leurs réponses étaient pratiquement unanimes et sans appel (comme s’ils se connaissaient tous ou avaient communiqué avant que je ne les rencontrai individuellement)! Selon eux, « il ne sert à rien de perdre son temps à l’école pour, après plusieurs années d’études, se retrouver sans emploi ». De plus, « cette école-là ne leur apporte rien ». Cette crise de motivation, Robinson l’a exprimée et il va au-delà de la seule perte de confiance des jeunes en leur avenir (à l’image de cette jeunesse africaine que j’évoque) pour mettre en exergue l’approche pédagogique même qui pose problème aujourd’hui avec cette nouvelle génération d’apprenants. Le défi en éducation est donc de prendre en compte l’environnement et les préoccupations des apprenants pour que chacun, quel qu’il soit et où qu’il soit, puisse « prendre connaissance et conscience à la fois de son identité et de l’identité commune avec tous les autres humains » (Morin, E. 1999). Mais encore, faut-il qu’on se pose la question de savoir « qui sont ces apprenants de cette ère dominée par les nouvelles technologies qui modifient nos cultures, nos comportements, nos modes d’interactions et, entre autres, nos représentations du temps et de l’espace (Castel et Delamare, 1998). De plus, comment pouvons-nous connaitre nos apprenants? Comment adapter nos enseignements à leurs besoins alors que la clientèle de cette génération est si hétérogène?  C’est de cette typologie des apprenants de ce 21è siècle que nous discuterons dans le prochain billet.

 

 

 

Réf bibliographiques.

Morin, E. (2000). Les sept savoirs nécessaires à l'éducation du futur (Vol. 2015). Paris: Seuil.

Castells, M., Delamare, P. (1998). La société en réseaux (Vol. 1, p. 126). Paris: Fayard.

Robinson, K. (2010). Changing Education Paradigms, TED Talks, vidéo sur https://www.youtube.com/watch?v=e1LRrVYb8IE

Commentaires

  1. Bonsoir Toumany,

    J’ai quelques questions à te poser et des commentaires à t’apporter, avec des références additionnelles susceptibles de t’intéresser (des références dans la lignée de tes lectures et des points que tu as présentés).

    D’abord sur l’école comme « continuité » de la famille dans l’apprentissage et sur l’école comme calque de la société vouée au « syndrome de l’économie », je me demandais sur quel contexte, sur quelles sources tu t’appuies, s’il te plait?

    Sur la démission de la famille, dans la continuité de l’entrée en matière de ton billet, je voudrais partager avec toi une référence et quelques extraits sélectionnés pour toi. Des extraits de Fernando Savater (2000) dans son chapitre consacré à l’éclipse de la famille (à la crise d’autorité dans les familles et à l’imposition du principe de réalité):

    « Disons-le de façon très schématique : quand la famille socialisait, l’école pouvait s’occuper d’enseigner, maintenant que la famille ne tient pas pleinement son rôle socialisateur, l’école non seulement ne peut assumer sa fonction spécifique comme dans le passé, mais elle commence à être l’objet de nouvelles demandes auxquelles elle n’est pas préparée. » Savater (2000 : 76)

    Concernant la perte de confiance des jeunes face à l’avenir et partant en l’école (puisque pour beaucoup de jeunes, migrants et autres, l’école ne permet pas/plus de se garantir un avenir), tu n’abordes pas spécifiquement le potentiel des environnements numériques d’apprentissages des jeunes dans la prise en compte de leur environnement et de leurs préoccupations. Face au problème persistant de la démotivation scolaire des jeunes (que tu décris) et donc face aux défis actuels de renouvellement de l’approche pédagogique souhaitable devant les nouveaux publics d’apprenant.e.s, quel rôle et quelle place penses-tu que nous devrions donner et faire aux ENA (environnements numériques d’apprentissage)?

    3 références additionnelles dans le Forum partage (les citations prennent beaucoup de caractères, trop nombreux ici pour pouvoir tout citer ici)

    Une question connexe :

    Tu évoques la difficile adaptation des enseignements à l’hétérogénéité des besoins des jeunes de plus en plus technologisés. Dans quelle mesure les ENA et les TIC te paraissent-ils constituer des outils adaptés à cette hétérogénéité constitutive des nouveaux apprenants du XXIe siècle?

    Sur l’idée de favoriser la prise de conscience de son identité conjointement à celle des autres (apprendre à se connaître pour mieux interagir avec l’autre à l’école et par ailleurs, pour mieux le comprendre, le respecter), la littérature date d’à peu près aussi longtemps que la philosophie occidentale. Cela dit, le philosophe Edgard Morin (un philosophe en sociologie) poursuit sa reprise critique d’autres idées empruntées à la philosophie de l’éduction pour l’école de demain dans une biographie (autorisée), dont tout un chapitre traite de l’« éducation du futur » (Morin, 2008 : 269-293).

    Je voudrais partager ici avec toi quelques citations, dont je te remercie d’avance de me dire ce qu’elles ont pu t’inspirer s’il te plaît, si elles peuvent éventuellement apporter de l’eau à ton moulin :

    « Il transfère sa haine en haine de la haine. Il faut enseigner que la connaissance de soi est une nécessité interne : pour comprendre autrui, il faut se comprendre. C’est un enseignement qui doit être pratiqué à tous les niveaux éducatifs et à tous les âges (…). » Morin (2008 : 282).

    3 références additionnelles dans le Forum partage (ibidem)

    Une petite question technique pour finir : dans ta bibliographie, tu indiques Morin (2000) et dans ton billet (1999), s’agit-il de la même source? J’imagine que oui, mais comme il ne cesse de publier et qu’on ne cesse de publier à son sujet, je me demandais…

    Merci encore.

    Bonne fin de soirée, d’ici le plaisir d’un prochain échange,

    David

    -------

    Morin, É. (2008). « L’éducation du futur », Mon chemin. Entretiens avec Djénane Kareh Tager. Paris : Fayard.

    Savater, F. (2000). « L’éclipse de la famille ». Pour l’éducation. Paris : Payot.

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